Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

marc

9 septembre 2009

Page_1

Publicité
Publicité
26 mars 2009

1233950022937yi9

15 février 2009

MONOLOGUES DU VAGIN Avant-propos. Je suis une

MONOLOGUES DU VAGIN

Avant-propos.

Je suis une fille de la génération du " en bas, là ". Ce sont les mots - rarement prononcés et toujours à voix basse - par lesquels les femmes de ma famille désignaient les organes sexuels féminins, internes ou externes.

Non qu'elles fussent ignorantes de termes tels que vagin, lèvres, vulve ou clitoris. Bien au contraire. Elles avaient étudié pour devenir professeurs ; certainement avaient-elles eu davantage d'accès à l'information que la plupart de leurs contemporaines.

Elles n'étaient pas non plus ni coincées ni collet monté. Une de mes grand-mères gagnait sa vie en faisant le nègre pour son austère paroisse protestante. Elle écrivait des sermons dont elle ne croyait pas un traître mot, puis pariait aux courses l'argent gagné pour le faire fructifier. Mon autre grand-mère, partisane du droit de vote pour les femmes, était éducatrice. Elle fut même parmi les toutes premières candidates aux élections, le tout au grand dam de beaucoup de membres de sa communauté juive. Quant à ma mère, elle fut, avant ma naissance, une des premières femmes à exercer le métier de reporter, avant de s'employer avec fierté à donner à ses filles une éducation plus éclairée que celle qu'elle avait elle-même reçue. Jamais je ne l'ai entendue prononcer un de ces mots d'argot qui salissent le corps de la femme ou lui font honte et je lui en sais immensément gré. Comme vous le découvrirez dans les pages qui suivent, beaucoup de petites filles n'ont pas eu, en grandissant, la même chance.

Mais jamais je n'ai entendu non plus de mots exacts, et encore moins de mots fiers. Par exemple, pas une seule fois je n'ai entendu le mot clitoris. Il a fallu des années avant que j'apprenne que les femmes possèdent le seul organe du corps humain qui sert exclusivement à éprouver du plaisir. Si un tel organe avait appartenu avec une identique exclusivité au corps masculin, ne peut-on pas facilement imaginer combien on en aurait entendu parler - et ce qu'il servirait à justifier ? C'est ainsi qu'en apprenant à parler, à écrire ou à prendre soin de moi, j'ai été instruite du nom de chacune des parties du corps - à l'exception de l'une d'elles, innommable. Cette lacune m'a laissée démunie pour affronter les mots honteux et les blagues grossières qu'on entend dans la cour de récréation.

Et plus tard, je n'ai pas su davantage me défendre contre le préjugé banal qui veut que les hommes, qu'ils soient médecins ou amants, en sachent davantage sur le corps des femmes qu'elles n'en savent elles-mêmes.

J'approchai pour la première fois de l'esprit de connaissance de soi et de liberté que vous découvrirez dans cet ouvrage lorsque j'ai vécu en Inde pendant quelques années après l'université. Dans les temples et les lieux sacrés hindouistes, j'ai vu le lingam, symbole des organes sexuels masculins, mais aussi le yoni, symbole des organes génitaux féminins : il peut être en forme de fleur, de triangle ou d'ovale à double pointe. J'ai appris alors que des milliers d'années auparavant, ce symbole avait été vénéré avec bien plus de ferveur que ne l'avait été son homologue mâle. Cette vénération perdure dans le tantrisme, dont le principe fondamental décrète l'incapacité de l'homme à atteindre la complétude spirituelle sans une union sexuelle et émotionnelle avec l'énergie spirituelle, supérieure, de la femme. Cette croyance était si profondément ancrée et si largement répandue que même certaines des religions monothéistes et phallocrates apparues plus tardivement l'agglomérèrent à leurs traditions. Notons toutefois que de telles croyances furent, et sont encore, marginalisées ou dénoncées comme hérétiques par les chefs religieux du courant dominant.

Quelques exemples. Les gnostiques chrétiens révèrent Sophie en tant que Saint-Esprit féminin, et considèrent que Marie Madeleine fut, de tous les disciples du Christ, le plus sage. Le bouddhisme tantrique enseigne toujours que la révélation réside dans la vulve. Les mystiques soufis de l'Islam croient que le fana - ou extase - ne peut être atteint que par l'intercession de Fravashi, l'esprit de la femme. La Shekina des mystiques juifs est un avatar de Shakti, l'esprit féminin de Dieu. Et l'Eglise catholique elle-même célèbre certains cultes de Marie davantage centrés sur la Mère que sur le Fils. Dans de nombreux pays en Asie, en Afrique ou ailleurs dans le monde, où on représente encore indifféremment les dieux en femme ou en homme, les autels symbolisent le Trésor par la fleur de lotus et par d'autres figurations du lin-gam imbriqué dans le yoni. En Inde, les déesses hindouistes Durga et Kali incarnent les pouvoirs du yoni : donner la vie et la mort, créer et détruire.

Cependant, lorsque j'ai regagné mon pays, l'Inde et le culte du yoni m'ont paru à des années-lumière des comportements américains à l'égard du corps des femmes. Qu'avait apporté la révolution sexuelle des années soixante, mis à part rendre davantage de femmes sexuellement accessibles à davantage d'hommes ? Mis à part substituer au " non " de la précédente décennie un " oui " quasi systématique et insatiable ? Il a fallu attendre l'activisme féministe des années soixante-dix pour que commencent à se faire jour des alternatives à tout depuis les religions patriarcales jusqu'à Freud (aussi loin que de A à B), depuis le double standard du comportement sexuel à celui, unique, du contrôle patriarcal, politique et religieux exercé sur le corps des femmes, considéré comme outil de reproduction.

De ces premières années de découverte, je conserve une foule de souvenirs vivaces. Je revois Judy Chicago et sa Maison de la Femme à Los Angeles où chaque pièce avait été pensée et aménagée par une artiste différente. C'est là que j'ai découvert le symbolisme féminin développé par ma propre culture. Cette forme, par exemple, que nous appelons un cœur - et dont la symétrie évoque bien davantage la vulve; le cœur étant, lui, un organe asymétrique - est probablement un symbole résiduel des organes génitaux féminins. Des siècles de domination masculine l'ont écarté du pouvoir pour le cantonner à la romance. J'entends encore Betty Dodson, que vous allez rencontrer dans ces pages, dans un coffee-shop à New York, électrocuter les oreilles indiscrètes de nos voisins d'un brillant plaidoyer pour la force libératrice de la masturbation; assise en face d'elle, j'essayais de garder mon quant-à-soi. Je me souviens d'être revenue à la rédaction du magazine Ms. et d'avoir trouvé sur le tableau d'affichage, au milieu des sempiternels petits mots humoristiques : IL EST DIX HEURES DU SOIR. SAVEZ-VOUS OÙ EST VOTRE CLITORIS ? Quand les féministes ont arboré l'inscription CUNT [chatte, ndlt] POWER sur leurs boutons et leurs tee-shirts comme pour réclamer la réhabilitation de ce mot, j'ai reconnu là la restauration d'un pouvoir ances-tral.

Après tout, le terme indo-européen cunt était dérivé de Kunda ou Cunti, le titre de la déesse Kali, et il possède la même racine que nos termes anglais kin [parents, famille, ndlt] et country [pays, patrie, ndlt].

Ces trois dernières décennies de féminisme ont été également marquées par la colère. Une colère de plus en plus profonde tandis que se faisait jour la vérité sur la violence infligée au corps féminin, qu'elle prenne la forme du viol, de violences sexuelles contre les petites filles, de la persécution des lesbiennes, de la violence physique à l'égard des femmes, du harcèlement sexuel, du terrorisme à l'encontre de la liberté de reproduction, ou encore du crime internationalement pratiqué de mutilation sexuelle. La santé mentale des femmes a été sauvée par la mise au jour de ces expériences cachées. En nommant ce qui était passé sous silence, nous avons pu convertir notre rage en une énergie positive, moteur d'actions concrètes visant à réduire et guérir. La présente pièce, le présent livre sont issus du raz de marée créatif qui a lui-même résulté de l'énergie dégagée par ces vérités.

La première fois que j'ai vu Eve Ensler réciter sur scène les textes intimes qui composent ce livre - et qui résultent du rassemblement de plus de deux cents interviews, retravaillées sous forme de matériau poétique pour le théâtre - je pensai : J'ai toujours su cela. : c'est la marche pour que la vérité éclate que nous faisons depuis trois décennies. Et c'est vraiment cela. Les femmes lui ont confié leurs expériences les plus intimes : du sexe à l'enfantement, de la guerre larvée contre les femmes à la nouvelle liberté amoureuse entre femmes. À chaque page de ce livre - tout comme dans chacune des histoires racontées au cours de sa genèse - il y a cette capacité à dire l'indicible. Un éditeur qui avait fait une avance pour l'ouvrage, après une prudente réflexion, a autorisé Eve Ensler à conserver cette somme si jamais elle souhaitait apporter ailleurs le livre et son mot de cinq lettres - un grand merci à Villard pour avoir publié tous ces mots de femme, même dans le titre.

La valeur des Monologues du vagin, cependant, dépasse la seule catharsis d'un passé rempli d'attitudes négatives. Ils ouvrent également une voie personnelle, fondée sur la connaissance du corps, pour avancer vers l'avenir. Je crois que les lecteurs, hommes et femmes, ressortiront de ces pages non seulement plus libres vis-à-vis d'eux-mêmes - et des autres -, mais aussi mieux armés pour concevoir des alternatives à la vieille dichotomie patriarcale féminin-masculin, corps-âme, sexuel-spirituel, dichotomie enracinée dans la division de notre moi physique, entre les parties dont on parle et celles dont on ne parle pas.

Si un livre qui inclut dans son titre le mot vagin vous semble encore bien éloigné d'un questionnement philosophique et politique, laissez-moi vous raconter une autre de mes découvertes tardives.

Dans les années soixante-dix, en faisant des recherches à la bibliothèque du Congrès, je suis tombée sur une histoire, reléguée aux oubliettes, de l'architecture religieuse. Il y était admis comme une connaissance communément répandue le fait suivant : le plan traditionnel de la plupart des lieux de culte patriarcaux emprunte ses formes au corps féminin. Il comprend ainsi un accès extérieur et un accès intérieur (les lèvres majeures et lèvres mineures), une aile vaginale centrale en direction du maître-autel, deux structures ovariennes courbes de part et d'autre de celui-ci, et, au centre sacré, le maître-autel ou utérus, où ont lieu les miracles - où les mâles donnent naissance.

Quoique cette comparaison ait été nouvelle pour moi, elle a fait mouche avec la même rapidité qu'une pierre atteint le fond du puits. C'est évident, ai-je pensé. Au cœur de la cérémonie des religions patriarcales, les hommes s'approprient le pouvoir de création du yoni en donnant symboliquement naissance. Rien d'étonnant à ce que les dirigeants religieux mâles répètent à l'envi que les humains sont nés dans le péché - parce que nous sommes nés de créatures femelles. Car ainsi, ce n'est qu'en obéissant aux règles patriarcales que nous pouvons renaître par l'entremise des mâles. Rien d'étonnant à ce que les ministres religieux vêtus de robes éclaboussent nos têtes d'un liquide qui imite la semence humaine, qu'ils nous donnent de nouveaux noms et nous promettent une résurrection dans la vie éternelle.

Rien d'étonnant à ce que le clergé mâle tienne les femmes à l'écart du maître-autel, tout comme elles sont tenues à l'écart de leur propre pouvoir de reproduction. Symboliquement ou en réalité, tout est fait pour contrôler le pouvoir qui habite le corps féminin.

Depuis cette découverte, je n'ai plus ressenti le même sentiment d'étrangeté en entrant dans une architecture religieuse patriarcale. Tout au contraire, je descends l'aile vaginale, ourdissant de reprendre le maître-autel avec des prêtres (hommes ou femmes) qui ne dénigreraient pas la sexualité féminine; d'universaliser les mythes exclusivement mâles de la Création ; de multiplier les mots et les symboles spirituels ; et de restaurer l'esprit de Dieu en toute chose vivante.

Si jeter par-dessus bord cinq mille ans de patriarcat semble trop ambitieux, concentrons-nous et célébrons, le long de la route, chaque étape où s'apprend le respect de soi.

C'est à cela que je pensais en regardant des petites filles dessiner des cœurs sur leurs cahiers, parfois même à la place du point sur les i. Je me demandais : " Sont-elles irrésistiblement attirées par cette forme primordiale parce qu'elle est tellement semblable à leur propre corps ? " J'y ai repensé en écoutant un groupe d'une vingtaine de fillettes et d'adolescentes - elles avaient entre neuf et seize ans - qui avaient décidé de s'entendre sur un mot qui engloberait tout : le vagin, les lèvres, le clitoris. Après bien des discussions, elles optèrent pour " le sac de pouvoir ". Le plus important, me sembla-t-il, c'est que cette discussion se fit dans les cris et les rires. " Quelle longue route bénie depuis le "en bas, là" à peine chuchoté ", ai-je pensé.

J'espère que mes aïeules savaient que leur corps était sacré. Grâce à des voix de scandale et à des mots honnêtes, tels que ceux qui se trouvent dans cet ouvrage, je crois que les grand-mères, les mères et les filles des temps futurs guériront leur moi, et raccommoderont le monde.

Gloria Steinem.

***

Introduction.

" Vagin ". Voilà. Je l'ai dit. Je le redis : " vagin ". Cela fait trois ans que je le dis et le redis. Je le dis dans des théâtres, des universités, des salons, des cafés. Je le dis pendant des dîners et des émissions de radio partout dans le pays. Je le dirais à la télé si quelqu'un me laissait le faire. Je le dis cent vingt-huit fois tous les soirs quand je donne mon spectacle, Monologues du Vagin, un spectacle fondé sur plus de deux cents entretiens avec des femmes qui ont accepté de me parler de leur vagin. " Vagin ". Je dis ce mot dans mon sommeil. Je le dis par provocation. Je le dis parce que c'est un mot invisible, un mot qui inquiète, qui dérange, qui inspire le mépris et le dégoût.

Je le dis parce que je crois que ce qu'on ne dit pas, on ne le voit pas, on ne le reconnaît pas, on ne s'en souvient pas. Ce qu'on ne dit pas devient un secret, et dans les secrets, souvent, s'enracinent la honte, la peur et les mythes. Je le dis parce que je veux un jour arriver à le dire sans gêne, sans honte et sans culpabilité.

Je le dis parce qu'on n'a encore proposé aucun mot qui soit plus global, qui décrive cette partie du corps féminin réellement et entièrement sans omettre aucun de ses éléments. " Chatte " est probablement meilleur, mais trop de connotations lui sont attachées. De plus, je ne pense pas que la plupart d'entre nous aient une idée bien claire de ce dont on parle quand on dit " chatte ". " Vulve " est un bon mot. Un mot spécifique. Mais je ne pense pas que la plupart d'entre nous sache avec précision ce que recouvre le mot vulve.

Je dis " vagin " parce que quand j'ai commencé à le dire, j'ai découvert à quel point j'étais fragmentée, à quel point mon esprit était déconnecté de mon corps. Mon vagin était quelque chose par là-bas, loin de moi. Je vivais rarement en lui, et je ne lui rendais pas davantage visite. J'étais occupée : travailler, écrire, être une mère, une amie. Je ne considérais pas mon vagin comme ma ressource primordiale, comme un lieu de subsistance, d'humour et de créativité. Ça pesait lourd, en bas, rempli de craintes comme ça l'était. J'ai été violée quand j'étais petite fille, et l'adulte que j'étais devenue, même si elle faisait toutes les choses que les femmes adultes font avec leur vagin, n'avait jamais vraiment réintégré cette partie de son corps. J'avais vécu presque toute ma vie sans mon moteur, me privant de mon centre, de mon second cœur.

Je dis le mot " vagin " parce que je veux que les gens me répondent. Ils l'ont fait. Ils ont essayé de censurer le mot où que les Monologues du vagin aient voyagé et dans chaque forme de communication : sur les publicités dans les grands quotidiens, sur les tickets vendus dans les grands magasins, sur les bannières devant les théâtres, sur les bandes-annonces des boîtes vocales où on annonçait seulement Les Monologues ou Les Monologues duV.

Qu'est-ce que cela signifie ? je demande. " Vagin " n'est pas un mot pornographique. En fait, c'est un terme médical, qui désigne une partie du corps, tout comme coude, main, côte.

Ce n'est peut-être pas pornographique, me répond-on, mais c'est sale. Si nos petites filles venaient à l'entendre, que leur dirions-nous ?

Peut-être pourriez-vous leur dire qu'elles ont un vagin, je dis. Si elles ne le savent pas déjà. Peut-être vous pourriez fêter ça ?

Mais nous n'appelons pas leur vagin " vagin ", ils disent.

Comment l'appelez-vous ? je demande.

Et ils me disent : " le petit coin ", " le mistri-gri ", " le kiki ", le " piou-piou ", " la poupou-nette "... et ainsi de suite. La liste est longue.

Je dis " vagin " parce que j'ai lu les statistiques. Partout dans le monde, les vagins endurent de mauvais traitements. Cinq cent mille femmes sont violées chaque année aux États-Unis. Cent millions de femmes à travers le monde ont subi des mutilations génitales. Et ainsi de suite. La liste est longue. Je dis " vagin " parce que je veux que cessent ces mauvais traitements. Je sais qu'ils ne cesseront pas tant que nous ne reconnaîtrons pas le fait qu'ils continuent. La seule solution, c'est de donner aux femmes la possibilité de parler, sans crainte d'être punies ou châtiées.

Ça fait peur de dire ce mot. " Vagin ". Au début, c'est comme si on s'écrasait contre un mur invisible. " Vagin ". On se sent coupable et en tort, c'est comme si on avait peur de se faire frapper. Et puis, quand on a dit le mot une centaine ou un millier de fois, il devient évident que c'est notre mot, notre corps, notre lieu le plus essentiel. Brutalement, on réalise que toute la honte et la gêne qu'on éprouvait au début en disant le mot n'était qu'une manière de réduire notre désir au silence, de miner notre ambition.

Alors, on commence à dire le mot de plus en plus souvent. On le dit avec une sorte de passion, d'urgence, parce qu'on sent que si on cesse de le dire, la peur va de nouveau s'emparer de nous. Et de nouveau nous le faire murmurer avec embarras. Alors on le dit partout où on peut, on le place dans chaque conversation.

On est excitée. Ce vagin, notre vagin, on veut l'étudier et l'explorer et se présenter à lui et découvrir comment l'écouter et comment lui donner du plaisir et comment préserver sa santé, sa sagesse et sa force. On apprend à se satisfaire soi-même et on enseigne à son amant comment nous satisfaire.

On prend conscience de notre vagin tout au long de la journée, où qu'on soit - dans la voiture, au supermarché, à la gym, au bureau. On prend conscience de cette partie de nous entre nos jambes, précieuse, magnifique, capable de donner la vie, et on sourit. On est fière.

Et lorsque de plus en plus de femmes disent le mot, le dire devient plus simple. Il devient une part de notre vocabulaire, de notre vie. Nos vagins sont alors intégrés, respectés, et sacrés. Notre vagin devient partie de notre corps reliée à notre esprit et nourrissant notre âme. La honte disparaît et la violence s'arrête parce que les vagins sont devenus visibles et réels, et qu'ils sont connectés à un discours féminin plein de puissance et de sagesse. Nous avons un très long voyage devant nous. Cela est le commencement. Voici le lieu de penser à notre vagin, de penser à celui des autres femmes, d'écouter des histoires et des témoignages, de répondre à des questions et d'en poser. Voici le lieu de laisser tomber les mythes, la honte et la peur. Voici le lieu où s'entraîner à dire le mot, parce que, comme on le sait, le mot est ce qui nous fait vivre et nous rend libre. " VAGIN ".

***

Monologues du vagin.

Je parie que vous êtes inquiet. J'étais inquiète. C'est comme ça qu'est née l'idée de ce spectacle. J'étais inquiète à propos des vagins. Inquiète de ce que nous pensons des vagins, et plus inquiète encore de ce que nous n'en pensons pas. Inquiète au sujet de mon propre vagin. J'avais besoin du contexte d'autres vagins - d'une communauté, d'une culture de vagins. Tant d'obscurité et de secrets les entourent ! On dirait le triangle des Bermudes. Personne n'a jamais rien raconté de ce qui s'y passe.

Au début, ce n'est même pas évident de trouver son vagin. Les femmes passent des semaines, des mois, parfois des années sans le regarder. J'ai interviewé une femme d'affaires très puissante qui m'a répondu qu'elle était trop occupée. Elle n'avait pas le temps. Regarder son vagin, m'a-t-elle dit, c'est une journée entière de travail. Il faut s'allonger sur le dos, devant un miroir en pied. Il faut trouver la position parfaite, l'éclairage parfait. Mais ça, c'est compliqué, car le miroir et l'angle du corps font de l'ombre. On est complètement tordue. Il faut forcer pour relever la tête, cambrer le dos. Ça fait mal, on est épuisée. Elle disait qu'elle n'avait pas de temps à consacrer à ça. Elle était très occupée. Alors j'ai décidé de parler aux femmes de leur vagin. Ces interviews de vagins sont devenues des monologues de vagins. J'ai parlé avec plus de deux cents femmes. Vieilles ou jeunes, mariées ou célibataires, lesbiennes ou hétérosexuelles. Elles étaient professeurs, actrices, cadres, profession' nelles du sexe, afro-américaines, d'origine hispanique ou asiatique, américaines de souche, caucasiennes, juives. Au début, elles répugnaient toutes à parler. Elles étaient un peu timides. Mais une fois qu'elles avaient commencé, on ne pouvait plus les arrêter. Secrètement, les femmes adorent parler de leur vagin. Cela les excite terriblement, surtout parce que personne ne les a jamais interrogées à ce sujet.

Commençons tout simplement avec le mot " vagin ". Au mieux, il sonne comme une maladie infectieuse, ou un instrument médical. " Vite, infirmière, apportez-moi mon vagin. " Vagin. Vagin. Peu importe le nombre de fois qu'on le dit. Jamais il ne sonne comme un mot qu'on veut dire. C'est un mot totalement ridicule, absolument pas sexy. Si, par souci d'être politiquement correcte, on le dit pendant qu'on fait l'amour - Chéri, pourrais-tu caresser mon vagin ? " on sabote l'affaire d'un seul coup.

Je me soucie des vagins, de la manière dont on les nomme, et dont on ne les nomme pas...

A Great Neck, on l'appelle un minou. Une femme m'a raconté, là-bas, que sa mère lui disait : " Ne mets pas de culotte sous ton pyjama, chérie ; tu dois aérer ton minou. " À Westchester, on l'appelle le petit coin, et dans le New Jersey, le con. Mais on dit aussi le poudrier, le derrière [en français dans le texte, ndlt], le mistigri, le zizi, le piou-piou, la poupounette, le zigouigoui, la copine, le baigneur, la crapounette, la bibiche, la craquette, la dignité, la boîte à malice, le turlututu, la bécassine, les babines, le pipi, le baquet, le fri-fri, le gogol, le bijou, l'as, le bonbon, la goule, Paffaire-à-suivre, le millefeuille, la boîte à ouvrage, Connie. À Miami, on dit le mimi, à Philadelphie, la cicatrice et dans le Bronx, la bêbête. Je me fais du souci pour les vagins.

Certains des monologues sont restés très proches de l'interview qui les a inspirés, d'autres mêlent en revanche plusieurs témoignages. Quelques autres encore sont nés d'une graine glanée dans une interview avec laquelle je me suis amusée. Ce monologue-ci est plutôt tel que je l'ai entendu. Son sujet, d'une manière ou d'une autre, fut abordé dans chaque interview, et le plus souvent avec une certaine tension. Ce sujet étant...

***

Les poils.

On ne peut pas aimer un vagin si on n'aime pas les poils. Bien des gens ne les aiment pas. Mon premier et unique mari les détestait. Il disait que ça faisait désordre. Que c'était sale. Il m'a fait raser mon vagin. Il avait l'air bouffi, tout nu comme celui d'une fillette. Mon mari, ça l'excitait. Quand on faisait l'amour, mon vagin ressentait ce que doit ressentir une barbe. C'était bon qu'on le gratte, et douloureux en même temps. Comme quand on gratte une piqûre de moustique. On aurait dit qu'il était en feu. Il avait des bosses rouges sanguinolentes. J'ai refusé de le raser de nouveau. Puis mon mari a eu une liaison. Quand nous avons fait une thérapie de couple, il a déclaré qu'il allait voir ailleurs parce que je refusais de le satisfaire sexuellement. Je ne voulais pas raser mon vagin. La thérapeute avait un redoutable accent allemand et elle soupirait entre les phrases pour souligner sa sympathie. Pourquoi ne voulais-je pas satisfaire mon mari ? Je lui ai répondu que je pensais que c'était étrange. Je me sentais comme une petite fille quand je n'avais plus de poils en bas, là. Je ne pouvais pas m'empêcher de parler avec une voix de bébé, la peau s'irritait et aucune crème n'y faisait rien. Elle m'a répondu que le mariage était un compromis. Je lui ai demandé si le fait de raser mon vagin empêcherait mon mari d'aller voir ailleurs. Je lui ai demandé si elle avait déjà eu beaucoup de cas comme celui-là. Elle a répondu que les questions diluaient le processus. Qu'il fallait que je me jette à l'eau. Qu'elle était certaine que c'était un bon début.

Cette fois-là, quand nous sommes retournés à la maison, c'est lui qui a rasé mon vagin. C'était comme si la thérapie lui avait valu un bon point. Il a fait quelques estafilades, et il y a eu un peu de sang dans la baignoire. Il ne l'a même pas remarqué, tant il était content de me raser. Puis, plus tard, quand il s'est collé contre moi, j'ai senti ses poils, piquants comme des épines, dans mon vagin tout gonflé. Il n'y avait aucune protection. Aucune toison.

C'est alors que j'ai réalisé que les poils ont une raison d'être - c'est la feuille autour de la fleur, le jardin autour de la maison. Il faut aimer les poils pour aimer le vagin. On ne peut avoir l'un sans les autres. De plus, mon mari n'a jamais arrêter d'aller voir ailleurs.

J'ai posé la même question à toutes les femmes que j'ai interviewées et j'ai réuni les réponses que je pré-fère. Je dois cependant dire que je n'ai jamais entendu une réponse qui m'ait déplu.

J'ai demandé aux femmes :

***

Comment habilleriez-vous votre vagin ?

Avec une veste en cuir.

Des bas de soie.

Du vison.

Un boa rosé.

Un smoking d'homme.

Un jean.

Quelque chose de moulant.

Des émeraudes.

Une robe de soirée.

Des sequins.

En Armani exclusivement.

Avec un tutu.

Des sous-vêtements noirs transparents.

Une robe de bal en taffetas.

Quelque chose de lavable en machine.

Un loup.

Un pyjama en velours violet.

De l'angora.

Un nœud papillon rouge.

De l'hermine et des perles.

Une capeline avec plein de fleurs.

Un chapeau léopard.

Un kimono en soie.

Un béret.

Un pantalon de survêtement.

Un tatouage.

Un engin qui fait des décharges électriques pour

éloigner les indésirables. Des talons hauts. De la dentelle et des Rangers.

Des plumes violettes et des brindilles et des coquillages. Du coton. Un tablier. Un bikini. Un imperméable.

***

Si votre vagin pouvait parler, en deux mots, que dirait-il ?

Ralentis.

C'est toi ?

Nourris-moi.

Je veux.

Hum,hum.

Oh, oui. Recommence.

Non, par ici.

Lèche-moi.

Reste à la maison.

Choix courageux.

Réfléchis encore.

Encore, s'il te plaît.

Serre-moi dans tes bras.

Jouons.

N'arrête pas.

Tu te souviens de moi ?

Entre.

Pas encore.

Waou, Maman.

Oui, oui.

Emeus-moi.

Entrez à vos risques et périls.

Oh mon Dieu !

Merci mon Dieu.

Je suis là.

Allons-y.

Allons-y.

Trouve-moi.

Merci.

Bonjour [en français dans le texte, ndlt].

Trop dur.

N'abandonne pas.

Où est Brian ?

C'est mieux.

Oui, là. Là.

***

J'ai interviewé un groupe de femmes entre soixante' cinq et soixante-quinze ans. Leurs témoignages sont les plus émouvants de tous, sans doute parce que beaucoup d'entre elles n'avaient jamais parlé de leur vagin avant. Malheureusement, la plupart des femmes de cette tranche d'âge n'avaient qu'une faible relation consciente à leur vagin. J'ai alors compris quelle était ma chance d'avoir grandi dans une époque féministe. Une femme de soixante-douze ans n'avait seulement jamais vu son vagin. Elle ne s'était jamais touchée qu'en se lavant sous la douche. Elle n'avait jamais eu d'orgasme. A soixante-douze ans, elle avait commencé une thérapie. Avec les encouragements de son thérapeute, un après-midi, elle était rentrée chez elle, avait allumé quelques bougies, pris un bain, mis de la musique pour se réconforter, et entrepris de découvrir son vagin. Elle m'a dit que ça lui avait pris plus d'une heure, à cause de l'arthrose, mais que quand elle avait enfin trouvé son clitoris, elle avait pleuré. Ce mono' logue lui est dédié.

L'inondation [Accent juif du Queens].

En bas, là ? Je n'y suis pas allée depuis 1953. Non, ça n'a rien à voir avec Eisenhower. Non, non, c'est une cave en bas. Très humide, moite. On veut pas y aller. Croyez-moi. Ça rend malade. C'est suffocant, ça donne la nausée. L'odeur de la moiteur et de la moisissure, et tout ça... Beurk ! C'est insupportable. Ça pénètre même dans les vêtements.

Non, il n'y a pas eu d'accident en bas, là. Ça n'a pas explosé, ni pris feu, ni rien. Ce n'était pas aussi dramatique. Je veux dire... Enfin, peu importe. Non, vraiment, peu importe. Je ne peux pas vous parler de ça. Pourquoi une fille bien comme vous va demander aux vieilles dames de parler de leur truc en bas, là ? Ça ne se faisait pas quand j'étais une jeune fille. Quoi ? Jésus... D'accord.

11 y avait ce garçon, Andy Leftkov. Il était mignon - enfin, c'est ce que je pensais. Il était grand, comme moi, et je l'aimais vraiment bien. Il m'a demandé de sortir avec lui, dans sa voiture... Je ne peux pas vous raconter ça. Je ne peux pas faire ça, parler du truc en bas, là. On sait que c'est là, c'est tout. Comme une cave. Ça gargouille parfois en bas, là. On entend les tuyaux, et des choses s'y coincent, des petits animaux et d'autres choses, et ça devient mouillé et parfois, des gens doivent venir réparer les fuites. Sinon, la porte reste close et on l'oublie. Je veux dire que c'est comme une pièce de la maison, mais une pièce qu'on ne voit pas et à laquelle on ne pense pas. Il faut qu'elle soit là, pourtant, parce que toute maison a besoin d'une cave. Autrement, c'est la chambre qui serait au sous-sol.

Oh, Andy, Andy Leftkov.

Oui, c'est vrai, j'avais oublié. Il avait beaucoup d'allure. Et c'était un beau parti. C'est comme ça qu'on disait à mon époque. Nous étions dans sa voiture, une nouvelle Chevrolet Bel Air blanche. Je me souviens m'être dit que mes jambes étaient trop longues pour le siège. J'ai de longues jambes. Elles cognaient contre le tableau de bord. J'étais en train de regarder mes grosses rotules quand, tout d'un coup, il m'a embrassée avec passion et fureur comme dans les films. Et ça m'a excitée. Tellement excitée que... eh bien, il y a eu une inondation en bas, là. C'était incontrôlable. C'était comme une force passionnelle, un torrent de vie qui débordait de moi, traversait ma culotte et coulait directement sur le siège de la Chevrolet Bel Air toute neuve. Ce n'était pas du pipi et pourtant ça sentait - enfin, sincèrement, moi, je n'ai vraiment rien senti du tout, mais Andy, lui, a dit que ça sentait le lait caillé et que ça tachait le siège. Il m'a dit que je n'étais pas normale, que je puais. J'ai voulu lui expliquer que son baiser m'avait prise par surprise et que je n'étais pas comme ça d'habitude. J'ai essayé d'éponger l'inondation avec ma robe. C'était une robe toute neuve, jaune pâle et, avec cette histoire, elle était devenue vraiment horrible. Andy m'a raccompagnée à la maison sans dire un mot. Pas un seul mot. Je suis descendue de la voiture et quand j'ai refermé la portière, c'était comme si je fermais la boutique. À double tour. Cessation d'activité. Je n'ai jamais rouvert. Je suis sortie avec quelques garçons après cette histoire, mais la seule l'idée de l'inondation me rendait trop nerveuse. Je me suis toujours tenue à distance.

Le New York Times, 12 avril 1996.

***

Au cours des dix dernières années, je me suis intensément investie auprès des femmes qui n'ont pas de maison, ces femmes que, pour les ranger dans une catégorie et mieux les oublier ensuite, nous disons " sans-abri ". J'ai fait toutes sortes de choses avec ces femmes qui sont devenues mes amies. J'ai animé des groupes de rétablissement pour les victimes de viol ou d'inceste, et d'autres qui accueillaient des toxicomanes ou des alcooliques. Ensemble, nous sommes allées au cinéma, nous avons partagé des repas, des sorties. En dix ans, j'ai interviewé des centaines de femmes. Et de tout ce temps, je n'en ai rencontré que deux qui n'avaient pas été victimes d'inceste dans leur enfance ou de viol plus tard. J'ai élaboré une théorie : pour k plupart de ces femmes, le mot " maison " évoque un lieu profondément effrayant, un lieu qu'elles ont fui. Dans les centres d'accueil où je les ai rencontrées, où je les rencontre encore, beaucoup de ces femmes ont, pour la première fois de leur vie, trouvé la sécurité, la protection ou le confort au sein d'une communauté d'autres femmes.

Ce monologue est l'histoire d'une femme, telle qu'elle me l'a racontée. Je l'ai rencontrée dans un centre, il y a environ cinq ans. J'aimerais pouvoir vous dire que c'est une histoire singulière, violente et extrême. Mais ce n'est pas le cas. En fait, elle n'est guère plus dérangeante que beaucoup d'autres histoires que j'ai entendues au cours de ces années. Les femmes pauvres endurent des violences sexuelles terribles auxquelles personne ne s'intéresse. La classe sociale à laquelle ces femmes appartiennent est un handicap qui leur ferme l'accès à la psychothérapie ou à d'autres méthodes curatives. Victimes de violences répétées, elles finissent par perdre complètement l'estime d'elles-mêmes et dérivent vers la drogue, la prostitution ; les guettent alors le sida, la mort. Par chance, l'histoire que je veux vous raconter a une issue différente. Cette femme, dans cet abri, a rencontré une autre femme, et elles sont tombées amoureuses l'une de l'autre. Dans leur amour, elles ont puisé la force de s'extraire du système d'aide aux sans-abri, et elles partagent aujourd'hui une vie magnifique. J'ai écrit ce texte pour elles, pour l'esprit étonnant qui les habite, et pour toutes ces femmes que nous ne voyons pas, qui souffrent et ont besoin de nous.

Il était un petit turlututu [Une femme de couleur du Sud].

Souvenir : décembre 1965, cinq ans.

Ma maman me dit d'une voix effrayante, puissante, terrifiante, d'arrêter de gratter mon turlututu. Je suis terrorisée à l'idée de l'avoir éraflé, en bas, là. Je ne me touche plus, même dans le bain. J'ai peur que l'eau entre, me remplisse et me fasse exploser. Je met des sparadraps sur mon turlututu pour couvrir le trou, mats dans l'eau, ils se décollent. J'imagine quelque chose comme une bonde de baignoire que j'enfoncerais là-dedans pour empêcher des choses d'entrer. Je dors avec trois culottes en coton imprimé de petits cœurs sous mon pyjama pressionné. J'ai encore envie de me toucher, mais je résiste.

Souvenir : sept ans.

Edgar Montane, qui a dix ans, se met en colère contre moi et me frappe de toutes ses forces entre les jambes. J'ai l'impression qu'il m'a entièrement brisée. Je boite jusqu'à la maison.

Je n'arrive plus à faire pipi. Ma maman me demande ce qui cloche avec mon turlututu. Je lui raconte ce qu'Edgar m'a fait et elle se met à hurler. Elle me dit que jamais je ne dois de nouveau laisser quelqu'un me toucher en bas, là. J'essaie de lui expliquer. Il ne l'a pas touché, Maman, il l'a frappé.

Souvenir : neuf ans.

Je joue au trampoline sur le lit, je rebondis et je me laisse tomber, et j'empale mon turlututu sur le montant du lit. Je pousse des cris suraigus qui sortent tout droit de la bouche du turlututu. On m'emporte à l'hôpital et ils me recousent en bas, là, depuis le point où ça s'est déchiré.

Souvenir : dix ans.

Je suis chez mon père, et il reçoit des amis, là haut. Tout le monde boit. Je joue toute seule au sous-sol et j'essaie le nouvel ensemble - soutien gorge et culotte en coton blanc - que m'a offert la petite amie de mon père. Brusquement, ce géant d'Alfred, le meilleur ami de mon père, surgit par derrière moi, baisse ma nouvelle culotte et colle son sexe tout dur contre mon turlututu. Je hurle. Je donne des coups de pied. J'essaie de le repousser, mais il est déjà dedans. Et puis, mon père est là, un fusil dans les mains. Il y a un bruit terrible et tout de suite après du sang partout sur Alfred et moi. Plein de sang. Je suis certaine que mon turlututu va finir par se détacher et tomber. Alfred est paralysé à vie et ma maman m'empêche de voir mon père pendant sept ans.

Souvenir : douze ans.

Mon turlututu est un lieu maudit, un séjour de douleur et d'obscénité, un champ de bataille, une terre d'invasion et de sang répandu. C'est un théâtre de désolation. Une zone de malchance. J'imagine une autoroute entre mes deux jambes, et tu vois, ma petite, je pars en voyage. Je me tire, loin d'ici.

Souvenir : treize ans.

Il y a cette splendide femme de vingt-quatre ans qui habite près de chez nous. Je passe mon temps à l'observer. Un jour, elle m'invite à monter dans sa voiture. Elle me demande si j'aime embrasser les garçons. Je lui réponds que non. Alors, elle dit qu'elle veut me montrer quelque chose. Elle se penche vers moi. Et elle m'embrasse très doucement sur les lèvres, avec ses lèvres, et après, elle glisse sa langue dans ma bouche. Waou. Elle me demande si je veux aller chez elle, puis elle m'embrasse encore et elle me dit de me détendre, de me concentrer sur mes sensations, de laisser nos langues se sentir. Elle va demander à ma maman si je peux passer la nuit chez elle. Ma mère est ravie qu'une femme aussi belle et prospère s'intéresse à moi. Je suis à la fois effrayée et impatiente. Son appartement est génial. Elle l'a fait entièrement tendre de tissu. C'est les années soixante-dix : il y a des perles, des coussins rebondis, des lumières d'ambiance. Je décide sur le champ que quand je serai grande, je serai secrétaire comme elle. Elle se sert un verre de vodka et me demande ce que je veux boire. Je réponds : " La même chose ", et elle dit qu'elle pense que ma maman n'aimerait pas que je boive de la vodka. Je dis que probablement, elle n'aimerait pas que j'embrasse des filles non plus, et la jolie dame me sert un verre. Puis, elle se change. Elle met un teddy en satin chocolat. Elle est absolument magnifique. J'avais toujours pensé que les goudous étaient monstrueuses. " Vous êtes très belle ", je dis. " Toi aussi ", elle répond. " Mais moi, j'ai seulement un soutien-gorge et une culotte en coton blanc ", je dis. Alors, elle me revêt, lentement, d'un autre teddy en satin. Il est lavande, comme les premiers jours du printemps. L'alcool m'est monté à la tête et je suis détendue et prête. En face de son lit, il y a une photo de femme nue avec une énorme afro. Elle m'allonge délicatement et lentement sur le lit et le frottement de nos corps l'un contre l'autre me fait jouir à lui tout seul. Et puis elle me fait à moi et à mon turlututu toutes ces choses que je croyais être mal, et waou ! Je suis tellement ardente, tellement excitée. Elle dit : " Ton vagin, qu'aucun homme n'a touché sent si bon, il est si frais, j'aimerais pouvoir le garder toujours comme ça. " Là, je suis carrément surexcitée, et à ce moment-là, le téléphone sonne, et évidemment, c'est ma maman. Je suis sure qu'elle sait. Elle m'attrape toujours. Je respire précipitamment même si j'essaie de me comporter normalement quand je prends le téléphone et elle me dit : " Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as couru ? - Non maman, je dis, je faisais de la gym. " Après, elle demande à la belle secrétaire de lui jurer qu'il y a aucun garçon dans les parages, et la dame lui répond : " Faites-moi confiance, il n'y a pas de garçon ici. " Par la suite, la magnifique jeune femme m'apprend tout de mon turlututu. Elle me fait jouer toute seule en face d'elle et elle m'apprend les différentes façons de me donner du plaisir. Elle est très minutieuse. Elle me dit aussi de toujours me souvenir comment me donner du plaisir par moi-même, comme ça, je n'aurai jamais besoin de compter sur un homme. Le matin, je suis tellement amoureuse d'elle que j'ai peur d'être devenue une gouine. Ça la fait rire, mais après, je ne la revois jamais plus. Maintenant, les gens me disent que c'était une sorte de viol. Je n'avais que treize ans. Elle, vingt-quatre. Alors je dis : " Eh bien, si c'était un viol, c'était un bon viol, un viol qui a transformé mon turlututu tout piteux en un petit coin de paradis. "

***

Qu'évoque pour vous l'odeur d'un vagin ?

La terre.

Des ordures mouillées.

Dieu.

De l'eau.

Un matin tout neuf.

Quelque chose de profond.

Le gingembre confit.

La transpiration.

Ça dépend.

Le musc.

Moi.

Pas d'odeur, m'a-t-on dit.

L'ananas.

Un calice d'essence.

Paloma Picasso.

Une substance terreuse et musquée.

La cannelle et le clou de girofle.

Des rosés.

Une forêt de jasmin, épicée, musquée, une forêt profonde, très profonde. De la mousse humide.

Une délicieuse friandise.

Le Pacifique Sud.

Un truc entre le poisson et le lilas.

Des pêches. Les bois.

Un fruit pourri.

Du thé fraise-kiwi.

Du poisson. Le paradis.

Du vinaigre et de l'eau.

Une liqueur légère et sucrée.

Du fromage.

L'océan. Le sexe.

Une éponge.

Le commencement.

***

Je voyage avec ce spectacle partout en Amérique (et maintenant partout dans le monde) depuis trois ans. Je menace de dessiner la carte d'une sorte d'amicale du vagin qui relierait entre elles toutes les villes - et elles sont nombreuses aujourd'hui - dans lesquelles je me suis rendue et qui nous ont fait bon accueil. J'ai été maintes fois surprise ; par Oklahoma City par exemple. Le public s'est emballé pour les vagins à Oklahoma City. Pittsburgh m'a surprise. Ils adorent les vagins à Pittsburgh. J'y suis déjà allée trois fois. Où que j'aille, après le spectacle, des femmes viennent vers moi pour me raconter leur histoire, me faire des suggestions, me faire part de leurs réponses. C'est l'aspect que je préfère, dans ces voyages. J'ai parfois entendu des histoires réellement étonnantes. Racontées tellement simplement, avec tellement de prosaïsme. Jamais je n'ai oublié combien la vie des femmes est extraordinaire, et combien elle est profonde. Et jamais je n'ai oublié combien les femmes sont isolées, et combien cet isolement finit par les oppresser. Et combien peu elles confient ces souffrances et cette confusion. Combien est lourde la honte qui entoure tous ces sujets. Combien il est crucial pour ces femmes de raconter leur histoire, de la partager avec d'autres, combien notre survie en tant que femmes dépend de ce dialogue. C'est un soir à New York après le spectacle que j'ai entendu l'histoire de cette jeune Vietnamienne. Elle était âgée de cinq ans - récemment arrivée en Amérique et incapable de parler anglais - quand elle tomba, en jouant avec sa meilleure amie, sur une bouche d'incendie. Elle se déchira le vagin. Incapable de raconter ce qui s'était passé, elle cacha simplement sous son lit ses sous-vêtements ensanglantés. Sa mère les trouva et supposa qu'elle avait été violée. Comme la petite fille ne connaissait pas le mot " bouche d'incendie ", elle était incapable d'expliquer à ses parents ce qui s'était vraiment passé. Ses parents accusèrent du viol le frère de sa meilleure amie. Ils emportèrent la petite fille à l'hôpital, où tout un groupe d'hommes entoura son lit pour observer son vagin ouvert et exposé. Puis, sur le chemin du retour, la petite fille réalisa que son père ne la regardait plus. À ses yeux, elle était devenue une femme utilisée, finie. Jamais plus il ne la regarda vraiment.

Il y a aussi cette autre histoire. Celle d'une étonnante jeune femme qui m'aborda après le spectacle en Oklahoma, avec sa belle-mère, pour me raconter qu'elle était née sans vagin, et ne l'avait réalisé qu'à l'âge de quatorze ans. Elle jouait avec une amie. Elles comparèrent leurs organes génitaux et elle réalisa que les siens étaient différents, que quelque chose n'allait pas. Elle se rendit chez un gynécologue avec son père - celui de ses deux parents dont elle était le plus proche - et le médecin découvrit que, en fait, elle n'avait ni vagin ni utérus. Son père, effondré, s'efforça de cacher ses larmes pour épargner sa fille. Et en sortant du cabinet du médecin, dans un effort louable pour la réconforter, il lui dit : " Ne t'inquiète pas ma chérie. Tout va s'arranger. En fait, ça va être formidable. On va te bricoler la plus belle chatte de toute l'Amérique. Et lorsque tu rencontreras ton mari, il saura qu'on l'a faite faire spécialement pour lui. " Et ils lui firent faire une chatte, et elle fut soulagée et heureuse, et quand elle amena son père, deux soirs plus tard, l'amour qui les liait l'un à l'autre m'émut profondément.

Et puis il y eut cette nuit à Pittsburgh, quand une femme animée d'une réelle passion se précipita vers moi. Elle me dit qu'elle devait me parler au plus tôt. L'intensité qui émanait d'elle me convainquit, et je la rappelai dès mon retour à New York. Elle me dit qu'elle était masseuse thérapeute et qu'elle devait me parler de la texture du vagin. La texture était cruciale. Je n'avais pas saisi la texture, me dit-elle. Et elle m'en parla pendant une heure avec tant de détails, de clarté et de sensualité que quand elle eut achevé, je ne pus que m'incliner. Au cours de la conversation, elle me parla aussi du mot cunt [ndlt : chatte] J'avais dit quelque chose de négatif à ce sujet pendant mon spectacle, me dit-elle. Je n'avais pas du tout compris ce mot. Elle devait m'aider à le reconcevoir. Pendant plus d'une demi-heure, elle me parla du mot cunt et quand elle eut achevé, j'étais convertie. J'ai écrit ceci pour elle.

Cunt : histoire d'une reconquête.

Je l'appelle cunt. Je l'ai reconquis, ce mot. Cunt. Je l'aime vraiment. Ecoutez bien. Cunt.

C C, Ca Ca.

Cavem, cackle, clit, cute, corne - closed c - closed inside, inside ca [caverne, caquet, clit, mignon, jouir, c fermé, fermé de l'intérieur, palatal, ndlt]. Le U ensuite - et puis CU - ce U tout en courbes, rêche sous la caresse comme une peau de requin - uniform, under, up, urge, ugh, ugh, U [uniforme, dessous, dressé, urgence, ndlt], et puis le N et puis CUN - trois lettres bien agencées et parfaitement accordées - N, nest, now, nexus, nice, nice [nid, maintenant, lien, beau, belle, ndlt], N toujours intensément profond, toujours rond en haut de casse, CUN, CUN - N, comme une décharge électrique malicieusement irrégulière - N, un petit son haut perché et puis doux, chaud -CUN, CUN, et enfin le T, avec une saveur un peu forte, aiguë - texture, take, tent, tight, tantalizing, tensing, taste, tendrils, time, tactile, tell me, tell me [texture, prendre, tente, tendu, terriblement tentant, crispant, goût, vrilles, temps, tactile, dis-moi, dites-moi, ndlt] Cunt cunt, dites-le, dites-le moi Cunt. Cunt.

***

J'ai demandé à une petite fille de six ans :

-Si c'était possible, comment habillerais-tu ton vagin ?

- Avec une brassière rouge et une casquette des Mets devant-derrière.

-S'il pouvait parler, que dirait-il ?

- Des mots qui commencent par V et par T, comme tortue et violon.

- À quoi ton vagin te fait-il penser ?

- À une jolie pêche, avec la peau foncée. Ou à un diamant que j'aurais trouvé dans un trésor et c'est le mien.

- Qu'est-ce que ton vagin a de spécial ?

101

- Quelque part, très en profondeur, je sais qu'il a un cerveau vraiment très intelligent.

- Qu'évoque pour toi l'odeur de ton vagin ?

- Des flocons de neige.

***

La femme qui aimait rendre les vagins heureux.

J'aime les vagins. J'aime les femmes. Impossible de séparer les deux. Les femmes me paient pour les dominer, les exciter, les faire jouir. Je n'ai pas commencé comme ça. Non, loin de là : au début, j'étais avocate. Mais, à l'approche de la quarantaine, le désir de rendre les femmes heureuses est devenue une obsession. Je voyais tellement de femmes insatisfaites. Tellement de femmes qui n'avaient aucun accès à leur bonheur sexuel. Ça a commencé pour moi comme une sorte de mission, mais après, je me suis réellement investie. Je suis devenue très bonne, brillante. C'était mon art. Et

103

I

j'ai commencé à me faire payer pour l'exercer. C'était comme si j'avais trouvé ma vocation. À partir de là, le droit fiscal était devenu parfaitement ennuyeux et insignifiant à mes yeux.

Quand je dominais les femmes, je portais des vêtements provocants - des dentelles, de la soie, du cuir - et j'utilisais des accessoires : des cravaches, des menottes, des cordes, des godes. Il n'y avait rien de tel, dans le droit fiscal. Pas d'accessoire, ni d'excitation, et je détestais ces tailleurs bleus, très uniforme-de-cadre, quoique maintenant, je les porte de temps en temps dans ma nouvelle activité professionnelle et ils me font plutôt un bon usage. Le contexte fait tout. Il n'y avait ni accessoires, ni accoutrements fantaisie dans le droit fiscal. Il n'y avait aucune humidité. Aucun prélude obscur et mystérieux. Pas de mamelon en érection. Pas de bouche voluptueuse, et en général, pas de gémissement. Aucun du genre de ceux dont je parle, en tous les cas. C'était là la clé, je m'en rends compte maintenant; en fin de compte, ce sont les gémissements qui m'ont séduite et rendue accro au désir de satisfaire les femmes. Quand j'étais petite, et que dans les films je voyais des femmes faire l'amour en poussant de curieux gémissements de plaisir, je riais. Je devenais bizarrement hystérique. Je ne pouvais pas croire que ces bruits impudiques et irrépressibles venaient des femmes.

Je mourais d'envie de gémir. Je m'entraînais en face de mon miroir, avec un magnétophone. Je gémissais. J'essayais différentes clés, différents timbres, que j'accompagnais d'expressions parfois très théâtrales, parfois plus réservées, presque imperceptibles. Mais lorsque j'écoutais l'enregistrement, ça sonnait toujours faux. C'était faux. Ce n'était enraciné dans aucun contexte sexuel, sinon dans mon désir d'être sexuelle.

Mais une fois - j'avais dix ans - j'ai eu une terrible envie de faire pipi. On était en voiture. Je me retenais depuis presque une heure et quand enfin j'ai pu aller aux toilettes dans cette petite station-service vraiment sale, c'était tellement excitant que j'ai gémi. Je n'y croyais pas. C'était moi, là, en train de gémir dans une station Texaco quelque part au beau milieu de la Louisiane. J'ai réalisé sur le champ que les gémissements sont liés au fait de ne pas obtenir immédiatement ce qu'on veut, de différer les choses. J'ai réalisé que les gémissements étaient meilleurs quand ils vous prenaient par surprise ; ils montaient de cette partie mystérieuse et cachée de nous qui parle son propre langage. J'ai réalisé que les gémissements étaient, en fait, ce langage.

Je devins une femme gémissante. Ça inquiétait la plupart des hommes. J'étais bruyante, et je les empêchais de se concentrer sur ce qu'ils étaient en train de faire. Ils perdaient leur point de mire. Et ensuite, ils perdaient tout. On ne pouvait pas faire l'amour chez les gens. Les murs étaient trop minces. J'y gagnais une réputation dans mon immeuble, et les gens me dévisageaient avec mépris dans l'ascenseur. Les hommes pensaient que j'étais trop passionnelle ; certains me traitèrent de folle.

Mes gémissements commencèrent à me mettre mal à l'aise. Je me calmai et me poliçai. J'étouffais mes bruits dans un oreiller. J'appris à étrangler mes gémissements, à les retenir comme un éternue-ment. Je commençai à avoir des maux de tête et des dérèglements dus au stress. J'avais perdu espoir quand j'ai découvert les femmes. Je découvris que la plupart des femmes aimaient mes gémissements - mais, plus important encore, je découvris combien j'étais excitée quand les autres femmes gémis' saient, quand j'arrivais à les faire gémir. Ça devint une sorte de passion.

Découvrir la clé, déverrouiller la bouche du vagin, libérer cette voix, ce chant sauvage.

J'ai fait l'amour à des femmes calmes, j'ai découvert ce lieu en elles, et elles étaient choquées de leurs propres gémissements. J'ai fait l'amour à des femmes qui avaient l'habitude de gémir et elles découvrirent en elles un gémissement plus intense, plus pénétrant. Je devins obsédée. Je voulais faire gémir les femmes, être responsable de leurs gémissements, les provoquer, les libérer, tel un chef d'orchestre, peut-être, ou un chef de bande.

C'était comme de la chirurgie, comme une science délicate. Trouver le tempo, le point exact. La maison du soupir. C'est comme ça que l'ai appelée.

Parfois, je la trouvais à travers un jean. Parfois, je la trouvais par surprise, subrepticement; je désamorçais alors tranquillement les alarmes autour et j'entrais. Parfois, j'utilisais la force. Pas la violence, qui aurait fait pression, non, plutôt une force dominatrice, quelque chose comme " Je vais t'emmener quelque part, ne t'inquiète pas, allonge-toi et profite du voyage ". Parfois, c'était seulement banal. Les gémissements étaient là avant même que les choses aient commencé, pendant qu'on mangeait de la salade ou du poulet, vraiment sans façon, avec mes doigts " Ici ça marche comme ça ", vraiment simplement, le tout mélangé avec du vinaigre balsamique. Parfois, j'utilisais des accessoires - j'adore les accessoires -, d'autres fois j'amenais la femme à trouver son gémissement en face de moi. J'attendais, je tenais le coup jusqu'à ce qu'elle s'ouvre d'elle-même. Je ne me laissais pas avoir par les gémissements mineurs, évidents. Non, je l'obligeais à aller plus loin, à aller jusqu'au bout, à donner toute sa puissance à son gémissement.

Il y a le gémissement clitoridien (un son moelleux, bien en bouche), le gémissement vaginal (un son guttural, profond), le gémissement combiné, clitorido-vaginal. Il y a le pré-gémissement (un son à peine perceptible), le presque gémissement (un son enveloppant), le gémissement fonceur (un son plus profond et déterminé), le gémissement élégant (sophistiqué et rieur), le gémissement à la Grâce Slick (très rock and roll), le gémissement WASP (pas de son), le gémissement semi-religieux (un son psalmodiant, musulman), le gémissement des sommets (comme un chant tyrolien), le gémissement de bébé (un gouzi-gouzi gazouillé), le gémissement de toutou (haletant), le gémissement d'anniversaire (un chant déchaîné), le gémissement zéro-inhibition de la militante bi-sexuelle (profond, agressif, martelant), le gémissement mitrailleur, le gémissement zen torturé (distordu, affamé), le gémissement de diva (une note d'opéra haut perchée), le gémissement de l'orgasme tous orteils crispés, et enfin, le gémissement du triple orgasme inattendu.

Lorsque ce texte fut achevé, j'en donnai lecture à la femme dont les propos l'avaient inspiré. Elle trouva qu'il n'avait vraiment rien à voir avec elle. Elle aimait ce texte, d'accord, mais elle ne s'y reconnaissait pas. Elle trouvait que d'une certaine façon j'avais évité de parler des vagins, que d'une certaine façon, je cherchais encore à les objectiver. Même les gémissements travaillaient à cette objectivation, en se désolidarisant du vagin, du reste de la femme. Les lesbiennes voyaient vraiment les vagins différemment. Je ne l'avais pas encore saisi.

Alors, j'ai recommencé l'interview.

" En tant que lesbienne, dit-elle, j'ai besoin que vous vous situiez dans un cadre lesbien, libre de tout contexte hétérosexuel. Je ne désire pas les femmes, par exemple, parce que je n'aime pas les hommes. Les hommes ne font même pas partie de l'équation. Vous devez parler de la manière d'entrer dans les vagins, dit-elle. Vous ne pouvez pas parler de la sexualité des lesbiennes sans évoquer ce point. Par exemple, je suis en train de baiser avec une femme. Elle est en moi. Je suis en moi. Je me branle en même temps qu'elle me baise. Il y a quatre doigts en moi ; deux à elle, deux à moi. "

Je ne savais pas que je voulais parler de sexe.

Mais encore une fois, comment puis-je parler des vagins sans parler d'eux en action ? Je m'inquiète du facteur d'excitation, j'ai peur que la pièce devienne une exploitation. Suis-je en train de parler des vagins pour exciter les gens ? Est-ce que c'est une mauvaise chose ?

" Nous lesbiennes, dit-elle, nous connaissons les vagins. Nous les touchons. Nous les léchons. Nous jouons avec eux. Nous les excitons. Nous remarquons quand le clitoris enfle. Nous sommes attentives à notre propre vagin. "

En l'écoutant, je réalise mon embarras. Il provient du concours de plusieurs raisons : excitation, crainte, son amour pour les vagins, l'aisance avec laquelle elle en parle, et ma terreur à moi de dire tout cela en face de vous, le public.

" J'aime jouer avec le bord du vagin, dit-elle, avec mes doigts, mes articulations, mes orteils, ma langue. J'aime y entrer lentement, puis y enfoncer trois doigts. " Il y a d'autres cavités, d'autres ouvertures; il y a la bouche. Quand j'ai une main libre, il y a des doigts dans sa bouche, des doigts dans son vagin, ils bougent ensemble, tous en même temps, sa bouche suce mes doigts, son vagin suce mes doigts. Les deux sucent, les deux sont humides. "

Je réalise que je ne sais pas ce qui est approprié.

Je ne sais même pas ce que ce mot signifie. Qui décide. J'ai appris tellement en l'écoutant. À son sujet, au mien.

" Puis, je deviens moi aussi humide, dit-elle. Elle peut entrer en moi. Je peux sentir mon humidité, la laisser glisser ses doigts en moi, dans ma bouche, dans mon vagin, c'est pareil. Je sors sa main de ma chatte. Je frotte mon humidité contre son genou, pour qu'elle la sente. Je la fais glisser le long de ses jambes jusqu'à ce que mon visage soit entre ses cuisses. "

Parler des vagins détruit-il le mystère 10u bien est-ce seulement un autre mythe qui retient les vagins dans l'ombre, les retient dans l'ignorance et l'insatisfaction ?

" Ma langue est sur son clitoris. Ma langue remplace mes doigts. Ma bouche entre dans son vagin. "

À dire ces mots, on se sent détestable, dangereuse, trop directe, trop spécifique, dans l'erreur, passionnée, investie, vivante.

" Ma langue est sur son clitoris. Ma langue remplace mes doigts. Ma bouche entre dans son vagin. "

Aimer les femmes, aimer nos vagins, les connaître et les toucher et se familiariser avec qui nous sommes et ce dont nous avons besoin. Nous satisfaire nous-mêmes, apprendre à nos amants à nous satisfaire, être présentes dans nos vagins, parler d'eux à voix haute, parler de leur appétit et de leurs souffrances et de leur solitude et de leur humour, les rendre visibles pour que cessent les ravages commis dans l'ombre, pour que ces ravages ne restent pas sans conséquences pour ceux qui les ont perpétrés, et notre centre, notre point, notre moteur, notre rêve ne sera plus détaché, mutilé, paralysé, cassé, rendu invisible ou honteux.

" Vous devez parler de la manière d'entrer dans les vagins ", dit-elle. J'ai dit : " Allez, on y va. "

***

Je donnais ce spectacle depuis plus de deux ans quand j'ai brusquement réalisé qu'il ne comportait aucun texte sur la naissance. C'était une étrange omission. Quoique, lorsque j'ai récemment évoqué ce point avec un journaliste, il m'a rétorqué " Quel est le rapport ? "

Ily a presque vingt et un ans, j'ai adopté un garçon, Dylan, qui avait très peu de différence d'âge avec moi. L'an passé, sa femme, Shiva, et lui, ont eu un bébé. Ils m'ont demandé d'assister à sa naissance. Je ne suis pas certaine, au cours de toutes mes recherches, d'avoir compris les vagins avant ce moment-là. Ils m'inspiraient le plus grand respect avant la venue au monde de ma petite fille, Colette, mais à présent, c'est une véritable adoration que je leur voue.

J'étais là dans la chambre Pour Shiva

J'étais là quand son vagin s'est ouvert. Nous étions tous là : sa mère, son mari et moi, et l'infirmière ukrainienne, sa main tout entière plongée dans son vagin, bavardant avec nous, sa main gantée de caoutchouc palpant, tournant comme pour forcer sur un robinet.

J'étais là dans la chambre quand les contractions l'ont faite ramper à quatre pattes, pousser des gémissements étranges, et là toujours des heures après quand un cri sauvage la déchira soudain. Ses bras frappaient l'air électrique.

J'étais là quand son vagin se métamorphosa. Timide caverne sexuelle, il devint tunnel archéologique, vaisseau sacré, canal vénitien, puits profond au fond duquel était niché un minuscule enfant, qui attendait d'être secouru.

J'ai vu les couleurs de son vagin. Elles avaient

changé.

J'ai vu le bleu des chairs tuméfiées,

l'incarnat des boursouflures

le rosé grisé, les couleurs sombres ;

j'ai vu le sang comme un filet de transpiration

ruisseler sur les bords

le liquide jaune, blanc, la merde, les caillots

sortir par tous les trous tandis qu'elle forçait de

plus en plus,

et dans la caverne, j'ai vu la tête du bébé, striée de

cheveux noirs,

là, juste derrière l'os, un souvenir dur et rond

comme lui,

et l'infirmière ukrainienne continuait à tourner et

tourner

la main glissante.

J'étais là quand sa mère et moi lui avons tenu chacune une jambe

et avons déployé toute notre force pour pousser à contre-courant

D'elle. Son mari comptait, sévère, Un, deux, trois, et lui disait de se concentrer, plus fort. Alors nous avons regardé en elle. Nous ne pouvions détacher nos yeux de cet endroit.

Nous avions tous oublié le vagin, sinon, comment expliquer ce manque d'effroi et d'admiration de notre part, ce manque d'étonne-ment 1

J'étais là quand le docteur

est entré avec des cuillers d'Alice au pays des

Merveilles

et là encore quand son vagin s'est ouvert comme

la bouche d'une cantatrice chantant de toutes ses

forces ;

la petite tête d'abord, puis le bras gris tout mou, et

enfin le petit corps nageant, nageant vite dans nos

bras larmoyants.

J'étais là encore plus tard et en me tournant, j'ai vu son vagin en face de moi. Et je l'ai regardée, elle, écartelée, entièrement exposée, amputée, tuméfiée, déchirée, saignant sur les mains du docteur qui calmement la recousait en bas, là.

Je l'ai regardé, son vagin, incapable d'en détacher mes yeux

et je l'ai vu soudain. Un gigantesque cœur rouge qui battait.

Le cœur sait faire des sacrifices. Le vagin aussi.

Le cœur sait pardonner et raccommoder. Il peut changer de forme pour nous accueillir, se dilater pour nous libérer. Le vagin le peut lui aussi.

Il peut souffrir pour nous, et s'étendre pour nous, et mourir pour nous, et saigner et nous faire saigner dans ce monde difficile et merveilleux. Le vagin le peut lui aussi. J'étais là dans la chambre, je me souviens.

Je faisais des rêves. Des rêves invraisemblables. Oh, ils étaient complètement stupides. Pourquoi ? Eh bien, il y avait Burt Reynolds. C'est bizarre, mais c'est ainsi. Il ne m'a jamais fait grand-chose dans la vie, en revanche, dans mes rêves... c'était toujours lui. Dans l'ensemble, c'était toujours le même rêve. Burt et moi, on sortait. Dans un restaurant comme ceux qu'on voit à Atlantic City, immense, avec des chandeliers et des machins partout, et des milliers de serveurs en habit. Burt m'offrait une orchidée. Je Pépinglais sur mon blazer. Ça nous faisait rire. Et puis on mangeait des crevettes avec de la sauce cocktail. Des crevettes énormes, fabuleuses. Et on riait encore plus. On était vraiment heureux ensemble. Puis, à moment donné, il plongeait son regard dans le mien et m'attirait vers lui, au beau milieu du restaurant. Et là, juste au moment où il allait m'embrasser, la salle de restaurant commençait à trembler de partout, des pigeons s'envolaient de dessous notre table - je me demande bien ce que ces pigeons faisaient là - et l'inondation se produisait immédiatement, en bas, là. Ça coulait à flot hors de moi. Encore et encore. Et il avait des poissons là dedans, et des petits bateaux, et tout le restaurant se remplissait d'eau, et Burt était là debout, à patauger dans mon inondation, de l'eau jusqu'aux genoux, et il me regardait d'un air horriblement déçu parce que j'avais encore recommencé. Et il regardait, horrifié, ses amis qui dînaient à d'autres tables - Dean Martin et ce genre de gens - et qui devaient quitter le restaurant à la nage, empêtrés dans leurs smokings et leurs robes de soirée.

Je ne fais plus du tout ces rêves. Je ne les fais plus depuis qu'ils ont enlevé tout ce qui avait un rapport avec ça, en bas, là. L'utérus, les tubes, ils ont enlevé tout le mécanisme. Le médecin pensait faire de l'humour. Si on ne s'en sert pas, m'a-t-il dit, on le perd. Mais j'ai appris que, en réalité, j'avais un cancer. Il fallait tout enlever autour. J'en aurais fait quoi, de toute façon ? Pas vrai ? Tout ça est bien trop surfait. J'ai fait d'autres choses. J'adore les expositions canines. Je vends des antiquités.

Comment je l'habillerais ? Qu'est-ce que c'est cette question ! Comment je l'habillerais 1 Avec un grand panneau :

" Fermé pour cause d'inondation "

Qu'est-ce qu'il dirait ? On en a déjà parlé. Ce n'est pas comme ça. Ce n'est pas comme une personne qui parle. Il y a longtemps que ce n'est plus une chose qui parle. C'est un lieu. Un lieu où on ne va pas. C'est condamné, là, en bas, sous la maison. Vous êtes contente ? Vous avez réussi à me faire parler. Vous avez fait parler une vieille dame de son truc, en bas, là. Vous vous sentez mieux 1 [Elle tourne les talons; elle revient] Vous savez, en fait, vous êtes la première personne à qui je parle de ça, et je me sens un peu mieux.

***

Histoire de vagin.

Au cours d'un procès de sorcellerie en 1593, le magistrat enquêteur (un homme marié) découvre manifestement l'existence du clitoris ; [il] l'identifie comme un mamelon de Satan, preuve irréfutable de la culpabilité de la sorcière. C'était " une petite excroissance de chair, pointant à la manière d'un mamelon, long d'un peu moins d'un centimètre et demi. L'apercevant au premier coup d'œil - mais pas de trop près parce que jouxtant un lieu secret qu'il n'était pas décent de regarder - et ne voulant finalement pas dissimuler une chose aussi étonnante ", le geôlier la montre à divers spectateurs. Qui n'avaient jamais vu pareille chose.

La sorcière fut condamnée.

Encycbpédie des mythes et des secrets de la femme.

***

J'ai interviewé beaucoup de femmes au sujet de leurs règles. Une sorte de chant choral, collectif et sauvage, s'est bientôt élevé. Les femmes se faisaient écho les unes aux autres. J'ai laissé les voix saigner les unes dans les autres. Et je me suis laissée emporter par le flux.

J'avais douze ans. Ma mère m'a giflée.

Cours élémentaire, sept ans. Mon frère parlait des règles [periods en anglais, ndlt]. Et je n'aimais pas sa façon de rire.

Je suis allée voir ma mère. C'est quoi, les règles ? j'ai demandé. C'est un signe de ponctuation qu'on met à la fin d'une phrase [period : point, ndlt], répondit-elle.

Mon père m'a apporté une carte. Pour ma petite fille qui n'est plus si petite.

J'étais terrifiée. Ma mère m'a montré les épaisses serviettes hygiéniques. Je devais aller jeter celles usagées dans la cuisine, dans la poubelle sous l'évier.

Je me souviens que j'étais une des dernières. J'avais treize ans. Nous avions toutes très envie que ça vienne.

J'ai eu vraiment peur. Au début, je mettais les protections usagées dans des sacs en kraft et je les planquais dans les rangements sombres du grenier.

Cours moyen. Ma mère a dit : " Oh, c'est bien. "

Au lycée, j'ai d'abord eu des pertes marron. Ça a coïncidé avec l'apparition de quelques poils sous les bras, qui poussaient inégalement ; une aisselle avait des poils, et l'autre pas.

J'avais seize ans, j'étais presque effrayée.

Ma mère m'a donné de la codéine. On dormait dans des lits superposés. Je suis descendue et me suis allongée là. Ma mère était tellement mal à l'aise.

Une nuit, je suis rentrée tard à la maison et je me suis glissée dans le lit sans allumer la lumière. Ma mère avait trouvé les serviettes usagées et les avait mises entre mes draps.

J'avais douze ans. J'étais encore en culotte, pas habillée. J'ai regardé par terre, dans l'escalier. C'était arrivé.

J'ai regardé par terre et j'ai vu le sang.

Cours élémentaire. Ma mère a dû voir ma culotte. Elle m'a donné une serviette plastifiée.

Ma mère a été très rassurante. Viens, on va te trouver une serviette.

Chez mon amie Marcia, quand elle a eu les siennes, ils ont fait un dîner pour fêter l'événement.

Nous voulions toutes avoir nos règles.

Nous les voulions toutes tout de suite.

Treize ans. Les Kotex n'existaient pas encore. 11 fallait surveiller ses vêtements. J'étais noire et pauvre. Il y a eu du sang sur ma robe, derrière, à l'église. Ça ne se voyait pas, mais je me sentais coupable.

J'avais dix ans et demi. Aucune préparation. Un magma marron dans ma culotte.

Elle m'a montré comment mettre un tampon. Il n'est entré qu'à moitié.

J'associais mes règles à des phénomènes inexplicables.

Ma mère m'a dit que je devais utiliser un vieux linge. Elle a dit que pour les tampons, c'était non. Je ne pouvais rien mettre dans mon sucrier.

J'ai mis des tonnes de coton dans ma culotte. Et puis j'en ai parlé à ma mère. Elle m'a donné des poupées en papier à l'effigie d'Elisabeth Taylor.

Quinze ans. Ma mère m'a dit Mazel tov. Elle! m'a giflée. Je n'ai pas su si c'était une bonne ouj une mauvaise chose.

Mes règles, c'était comme une pâte à gâteau avant la cuisson. Les Indiennes d'ici s'assoient sur de la mousse pendant cinq jours. J'aurais aimée être une Indienne-Américaine.

J'avais quinze ans et il me tardait de les avoir. J'étais déjà grande, et j'ai continué à grandir.

Quand j'ai vu des filles blanches à la gym avec leurs tampons, j'ai pensé qu'elles étaient de vilaines filles.

J'ai vu des petites gouttes rouges sur le carrelage rosé. J'ai dit : " Ouais !"

Ma mère était contente pour moi.

J'ai utilisé des O B et j'aimais glisser mes doigts là-dedans.

Onze ans. Je portais un pantalon blanc. Le sang a commencé à couler.

J'ai pensé : " C'est atroce. "

Je ne suis pas prête.

J'ai eu mal au dos.

Ça m'a excitée.

Douze ans. J'étais contente. Mon amie avait un tableau Ouija [lettres et chiffres utilisés dans les séances de spiritisme, ndlt] Elle a demandé quand nous allions avoir nos règles. Elle a baissé les yeux et j'ai vu le sang.

J'ai baissé les yeux et c'était là.

Je suis une femme.

J'étais terrifiée.

Jamais je n'avais pensé que ça arriverait.

Je me suis sentie complètement différente. Je suis devenue taciturne et adulte. Une bonne Vietnamienne, travailleuse, calme, vertueuse, ne parle jamais.

Neuf ans et demi. J'étais certaine que j'allais saigner jusqu'à ce que mort s'ensuive. J'ai roulé ma culotte en boule et je l'ai jetée dans un coin. Je ne voulais pas que mes parents s'inquiètent.

Ma mère m'a donné de l'eau chaude mélangée à du vin, et je me suis endormie.

J'étais dans ma chambre, dans l'appartement de ma mère. J'avais une collection de bandes dessinées. Ma mère m'a dit : " Tu ne dois pas soulever ton carton de bandes dessinées. "

Mes copines m'ont raconté que c'était l'hémorragie tous les mois.

Ma mère n'arrêtait pas de faire des séjours en hôpital psychiatrique. Difficile pour elle de s'occuper de mes débuts dans l'âge adulte.

" Miss Carling, veuillez je vous prie dispenser ma fille de basket. Elle vient juste de devenir une femme. "

J'étais en colonie, on m'a dit de ne pas prendre de bain quand j'avais mes règles. Elles m'ont essuyée en bas, là, avec un antiseptique.

J'ai eu peur que les gens le sentent. Peur qu'ils me disent que je sentais le poisson.

J'ai vomi et je ne pouvais rien avaler.

J'ai eu faim.

Parfois, c'est très rouge.

J'aime les gouttes qui tombent dans les toilettes. On dirait de la peinture.

Parfois, c'est marron et ça me perturbe.

J'avais douze ans. Ma mère m'a giflée et m'a donné un tee-shirt en coton rouge. Mon père est allé acheter une bouteille de sangria.

***

Au cours de mes interviews, j'ai rencontré neuf femmes qui avaient eu leur premier orgasme exacte' ment au même endroit. Ces femmes approchaient de la quarantaine ou venaient juste de la dépasser. Toutes avaient participé, à des moments différents, à des réunions de groupes animées par une femme extraordinaire et courageuse, Betty Dodson. Depuis vingt' cinq ans, Betty aide les femmes à localiser, aimer et masturber leur vagin. Elle a animé des séances collectives et travaillé aussi individuellement avec des femmes. Elle a aidé des milliers de femmes à retrouver leur centre. Ce texte lui est dédié.

L'atelier du vagin [Avec un léger accent anglais].

Mon vagin est un coquillage. Un coquillage tout rond, rosé, fragile, qui s'ouvre et se ferme, se ferme et s'ouvre. Mon vagin est une fleur, une tulipe excentrique, Son centre est précis et profond, son parfum délicat, ses pétales tendres mais robustes.

Je n'ai pas toujours su cela. Je l'ai appris à l'atelier du vagin. Je l'ai appris de la femme qui organise l'atelier du vagin, une femme qui a foi dans les vagins, qui les voit vraiment, qui aide les femmes à voir le leur en apprenant à voir celui des autres femmes.

Pendant la première séance, la femme qui organise l'atelier du vagin nous a demandé de dessiner notre " unique, magnifique et merveilleux vagin ". C'est ainsi qu'elle en parlait. Elle voulait savoir comment nous, nous voyions notre unique, magnifique et merveilleux vagin. Une des femmes, qui était enceinte, a dessiné une grande bouche rouge hurlante d'où se déversaient des pièces. Une autre, très maigre, a dessiné un grand plat orné d'un genre de motif du Devonshire. Moi, j'ai dessiné un immense rond noir et gribouillé des petites lignes autour. Le rond noir équivalait à un trou noir dans l'espace, et les lignes étaient censées figurer des gens, ou des choses, ou simplement nos atomes de bases qui s'était égarés là. J'avais toujours pensé à mon vagin comme à un vide anatomique qui aspirait au hasard des particules et des objets de son environnement.

J'avais toujours perçu mon vagin comme une entité indépendante, une sorte d'étoile tournant autour de sa propre galaxie, capable de se désintégrer sous l'effet de sa propre énergie gazeuse, ou d'exploser et de se disloquer en des milliers de vagins plus petits, tournant chacun, eux aussi, autour de leur propre galaxie.

Je ne pensais pas à mon vagin en termes pratiques ou biologiques. Je ne le voyais pas, par exemple, comme une partie de mon corps, comme une chose entre mes jambes, indissolublement attachée à moi.

À l'atelier, on nous a demandé de regarder notre vagin avec un miroir de poche. Après un examen minutieux, nous avons dû décrire ce que nous avions vu. Je dois vous dire que jusqu'alors, tout ce que je connaissais de mon vagin n'était que ouï-dire et inventions. Je n'avais jamais vraiment vu la chose. Mon vagin n'avait jamais existé que de manière abstraite. Ça me semblait tellement réducteur et étrange de le regarder, d'aller voir en bas, là, de cette façon qu'on nous enseignait à l'atelier, couchées sur nos matelas bleus brillants, avec notre miroir à la main. J'ai pensé à ce qu'avaient dû ressentir les premiers astronomes avec leurs télescopes rudimentaires.

Au début, je l'ai trouvé plutôt dérangeant, mon vagin. C'était un peu comme quand on voit un poisson ouvert, la première fois, et qu'on y découvre, à l'intérieur, juste sous la peau, ce système sanguin différent et complexe. C'était tellement cru, tellement rouge. Tellement vivant.

Et ce qui m'a le plus surprise, ce sont les couches. Des couches et des couches, les unes à l'intérieur des autres. Mon vagin ressemblait à un événement mystique, recelant, enveloppé en lui un autre aspect de lui-même, le véritable événement en fait, mais cela, on ne le sait qu'après qu'il s'est produit.

Mon vagin m'a stupéfiée. Quand est venu mon tour de prendre la parole, je n'ai pas pu prononcer un seul mot. J'étais muette. Je venais de m'éveiller à ce que la femme qui animait l'atelier appelait " l'étonnement vaginal ". Je ne désirais rien d'autre que rester allongée sur mon matelas, les jambes écartées, à examiner mon vagin, jusqu'à la nuit des temps.

C'était mieux que le Grand Canyon, primitif et extrêmement gracieux. Ça avait l'innocence et la fraîcheur coquette d'un jardin anglais. C'était drôle, très drôle. Ça m'a fait rire. Ça pouvait jouer à cache-cache, s'ouvrir et se fermer. C'était comme une bouche. C'était comme le matin. Et puis, aussitôt, une idée m'a frappée. Mon vagin, c'était moi : il était ce que moi j'étais. Il n'était pas une entité. Il était à l'intérieur de moi.

La femme qui animait l'atelier a demandé ensuite combien, parmi les femmes présentes, avaient déjà eu des orgasmes. Deux d'entre-nous levèrent timidement la main. Je n'ai pas levé la main, mais j'avais eu des orgasmes. Je n'ai pas levé la main parce que ces orgasmes avaient été accidentels. Ils m'arrivaient. Ils m arrivaient dans mes rêves, et je m'éveillais, rayonnante. Dans l'eau souvent, et surtout dans le bain. Une fois à Cape Cod. Ils se produisaient à cheval, à bicyclette, sur le stepper à la gym. Je n'ai pas levé la main parce que même si j'avais déjà eu des orgasmes, je ne savais pas comment les provoquer. Jamais je n'avais essayé d'en provoquer un. Je croyais que c'était mystique, magique. Je ne voulais pas m'en mêler. C'aurait été mauvais, croyais-je - artificiel, trafiqué. Du toc, comme Hollywood. Des orgasmes fabriqués selon la recette. Il n'y aurait plus eu de surprise, de mystère. Le problème, évidemment, c'était que la surprise n'existait plus depuis deux ans. Je n'avais pas eu d'orgasme accidentel et magique depuis longtemps et j'étais dans tous mes états. C'est la raison qui m'avait conduite là, à l'atelier.

Et puis, arriva le moment que je redoutais et attendais tout à la fois avec impatience. La femme qui animait l'atelier nous a demandé de ressortir nos miroirs de poche et de regarder si nous pouvions localiser notre clitoris. Nous étions là, tout le groupe, sur le dos, sur nos matelas, en train de chercher nos points, notre lieu, notre raison, et je ne sais pas pourquoi, j'ai commencé à pleurer. Peut-être par pur embarras. Peut-être parce je savais que j'allais devoir renoncer au fantasme, gigantesque, dévorant, que quelqu'un ou quelque chose allait faire ça pour moi - guider ma vie, choisir une direction, me donner des orgasmes. J'étais, entre-nous soit dit, pétrie de superstitions et de croyances magiques. Cette recherche du clitoris, cet atelier abracadabrant sur ces matelas en plastic bleu brillant rendait toute la chose réelle, trop réelle. J'ai senti la panique m'envahir. Terrorisée, j'ai réalisé que j'avais évité de trouver mon clitoris, que je l'avais rationalisé comme un élément de la culture dominante consumériste parce que, en fait, j'étais terrifiée à l'idée de n'avoir pas de clitoris, terrifiée à l'idée d'être une de ces incapables constitutionnelles, une de ces femmes frigides, mortes, à jamais, fermées, sèches, à goût d'abricot, amères - oh mon Dieu ! J'étais étendue là, à regarder mon clitoris, à le toucher du doigt, et tout ce à quoi j'arrivais à penser, c'était que lorsque j'avais dix ans, j'avais perdu ma bague en or sertie d'émeraudes dans un lac. Que j'avais plongé et replongé pour atteindre le fond du lac, en passant mes mains sur des pierres, des poissons, des capsules de bouteille et des trucs vaseux, mais jamais sur ma bague. La panique que j'avais ressentie. Je savais que je serais punie. Je n'aurais pas dû la garder pour nager.

L'animatrice a vu que je me débattais à l'aveuglette, transpirant et haletant. Elle est venue vers moi. Je lui ai dit : " J'ai perdu mon clitoris. Il est tombé. J'aurais dû l'enlever pour nager. " Elle s'est mise à rire. Elle a caressé mon front calmement. Elle m'a dit que le clitoris ne pouvait pas se perdre. Qu'il faisait partie de moi, qu'il était mon essence. Qu'il était à la fois la sonnette à l'entrée de la maison et la maison elle-même. Je n'avais pas à le trouver, je devais être lui. Etre lui. Etre mon vagin. Je me suis rallongée et j'ai fermé les yeux. J'ai replacé le miroir en bas. Je me suis regardée flotter au-dessus de moi-même. Je me suis regardée lentement m'approcher de moi et ré-entrer. Je me sentais comme un astronaute réintégrant l'atmosphère. Elle était très calme, cette réintégration, calme et douce. Je rebondissais et me posais, puis rebondissais de nouveau. Je m'insinuais dans mes muscles, dans mon sang, dans mes cellules, et bientôt il ne m'est plus resté qu'à me glisser dans mon vagin. C'était soudain facile et ça entrait. À l'intérieur, c'était tout chaud, palpitant, prêt, jeune, vivant. Alors, sans regarder, les yeux clos, j'ai posé mon doigt sur ce qui brusquement était devenu moi. C'était un peu frémissant d'abord, ce qui m'a incité à rester. Puis, le frémissement s'est fait tremblement, éruption, les strates se sont partagées, se sont partagées encore. Le tremblement s'est grand ouvert sur un horizon de lumière et de silence, qui s'est lui-même ouvert sur un plan de musique, de couleurs, d'innocence et de désir, et j'ai senti la connexion s'établir tandis que j'étais étendue là à gigoter sur mon petit matelas bleu. Mon vagin est un coquillage, une tulipe et un destin. J'arrive et commence à partir au moment. Mon vagin, mon vagin. Moi.

***

En 1993, en passant devant un kiosque à journaux dans une rue de Manhattan, je me suis arrêtée en état de choc, devant la photo de couverture, profondément dérangeante, de Newsday. Elle montrait un groupe de six jeunes femmes qui revenaient juste du camp où elles avaient été placées après avoir été violées. On lisait le choc et le désespoir sur leur visage, mais plus dérangeant encore, on devinait en les regardant que quelque chose de doux, de pur, avait été irrémédiable' ment détruit dans chacune de ces vies. J'ai lu l'article. A l'intérieur du magazine, il y avait une autre photographie des jeunes femmes. Elles venaient de retrouver leurs mères et elles posaient avec elles, debout en demi-cercle dans un gymnase. Cela faisait beaucoup de monde, mais aucune d'entre elles, fille ou mère, n'était capable de regarder l'objectif.

J'ai su que je devais aller làbas. Rencontrer ces, femmes. En 1994, grâce au soutien d'un ange, Lauren Lloyd, j'ai passé deux mois en Croatie et Pakistan à interviewer des réfugiées bosniaques. J'ai fait parler ces femmes en me promenant avec elles dans les camps, en les accompagnant dans les cafés et les centres d'accueil. Depuis, je suis retournée deux fois en Bosnie.

De retour à New York après mon premier voyage, j'étais profondément indignée. Indignée que 20 000 à 70 000 femmes aient été violées au beau milieu de l'Europe en 1993, sous prétexte d'une tactique systématique de guerre, et que personne n'ait tenté d'y mettre un terme. Je ne pouvais pas le comprendre. Une amie me demanda pourquoi je m'étonnais. 500 000 femmes étaient violées chaque année dans notre pays, me dit-elle, et en théorie, nous n'étions pas en guerre.

Ce monologue s'inspire de l'histoire d'une femme. Je la remercie ici de l'avoir partagée avec moi. La force spirituelle de cette femme m'impressionne profondément, tout autant que m'impressionne chaque femme que j'ai rencontrée qui a survécu à ces atrocités commises dans l'ex-Yougoslavie. Ce texte est dédié aux femmes bosniaques.

Mon vagin, mon village.

Mon vagin, vert, rosé, champ de terre meuble, les vaches meuglaient, je me reposais au soleil près de mon doux ami, douce caresse d'un fétu souple de paille blonde.

Il y a quelque chose entre mes jambes. Je ne sais vraiment pas ce que c'est. Je ne sais pas où c'est. Je ne touche pas. Pas maintenant. Plus jamais. Plus depuis.

Mon vagin était bavard, impatient, tellement bavard, tellement, tellement à dire, impossible d'arrêter d'essayer, impossible d'arrêter de dire oh oui, oh oui.

Plus depuis que je rêve qu'il y a un animal mort en bas, là, cousu avec un gros fil de pêche noir. Et rien ne peut faire disparaître la puanteur de l'animal mort. Et sa gorge incisée saigne et imprègne toutes mes robes d'été.

Mon vagin chantait. Chansons de fille, carillonnent les clochettes des chèvres, chansons des champs à l'automne, chansons du vagin, chansons de la maison du vagin.

Plus depuis que les soldats ont glissé en moi un fusil long, épais. Il est si froid, ce manche d'acier qui anéantit mon cœur. Je ne sais pas s'ib vont tirer ou l'enfoncer dans mon cerveau qui tourne, qui tourne. Six d'entre eux, docteurs monstrueux, masques noirs, m'enfoncent aussi des bouteilles. Il y a des baguettes, et une tête de balai.

Mon vagin était comme l'eau d'une rivière pour nager, eau courante sur les pierres chaudes gorgées de soleil, sur le clitoris de pierre, sur les pierres du clitoris encore et encore.

Plus depuis que j'ai entendu la peau se déchirer, cris stridents et âpres, un morceau de mon vagin dans mes mains, morceau de lèvre, maintenant d'un côté elle n'existe plus.

Mon vagin. Un village vivant, humide et irrigué. Mon vagin, mon village natal.

Plus depuis que pendant sept jours, ils ont à tour de rôle laissé leur sperme sale en moi, puant comme des fèces et de la viande fumée. Je suis devenue une rivière empoisonnée, charriant du pus, toutes les récoltes, tous les poissons ont crevé.

Mon vagin village vivant humide irrigué. Ils l'ont envahi. Charcuté puis incendié. Je n'y touche plus maintenant. Je ne lui rends plus visite. J'habite ailleurs, maintenant. Je ne sais pas où.

***

Info-vagin.

Au XIXe siècle, les filles qui apprenaient à développer leurs possibilités d'orgasme par la masturbation posaient des problèmes d'ordre médical. Souvent, elles étaient " traitées " ou " corrigées " : amputation ou cautérisation du clitoris, " ceinture de chasteté miniature " - on cousait les lèvres vaginales ensemble pour mettre le clitoris hors d'atteinte -, castration - ablation des ovaires. Il n'y a pas trace en revanche, dans la littérature médicale, d'actes chirurgicaux tels que l'ablation des testicules ou l'amputation du pénis pour empêcher les garçons de se masturber.

Aux États-Unis, la dernière clitoridectomie en remède à la masturbation fut enregistrée en 1948. La petite fille était âgée de cinq ans.

L'Encycbpédie des mythes et secrets de la femme.

Info-vagin.

80 à 100 millions de petites filles et de jeunes femmes ont subi des mutilations génitales. Dans les pays où ces pratiques ont cours - des pays africains principalement - environ 2 millions de fillettes chaque année voient la lame du couteau, ou du rasoir ou d'un éclat de verre, sectionner leur clitoris, avant que soient cousues ensemble les lèvres, en partie ou en totalité, avec du catgut ou des épines.

Cette opération est souvent pudiquement qualifiée de " circoncision ". Le spécialiste africain Nahid Toubia trace un parallèle clair : chez un homme cela équivaudrait à une amputation de la presque totalité du pénis dans certain cas, de sa totalité, avec ses racines de tissu souple et d'une partie de la peau du scrotum, dans d'autres.

Conséquences à court terme : tétanos, septicémies, hémorragies, plaies sur l'urètre, la vessie, les parois vaginales et le sphincter anal. À long terme : infections utérines chroniques, cicatrices profondes pouvant gêner la marche à vie, fistules, douleurs de l'enfantement atrocement amplifiées et un réel danger pendant l'accouchement, mort prématurée.

20 octobre 2008

monsieurmorbak@aol.com

20 octobre 2008

Photo_160

Publicité
Publicité
20 octobre 2008

anniv_phil_chez_pof_nicole_marc

20 octobre 2008

14153449_m_1_

20 octobre 2008

PK210375

20 octobre 2008

Photo_122

20 octobre 2008

jpg

20 octobre 2008

JjsJI4LmFIH2VGmdBjy_uRrUlpvkWeje00A0

20 octobre 2008

5ifi0veycNhEqewshLGBuxtS9_R2j7Uy0119

20 octobre 2008

avec_choron

20 octobre 2008

Photo_004

20 octobre 2008

tof_010

20 octobre 2008

Sans_titre_Num_risation_01

20 octobre 2008

PK210377

20 octobre 2008

PK210372

20 octobre 2008

Photo_296

20 octobre 2008

Photo_176

Publicité
Publicité
1 2 > >>
Publicité
Publicité